HistoiresItshak Nabet

Par quel mérite?

par Itshak Nabet

La Torah nous informe dans la Paracha Békhoukotaï, que celui qui fait les Mitsvot reçoit la Bénédiction sur Terre. En effet, même si l’essentiel de la récompense est conservée pour le monde futur, nous jouissons, également ici bas, du fruit de nos efforts. Ainsi, les Mitsvot et l’étude de la Torah nous protègent, comme l’illustre cette histoire tirée du Maguid de Jérusalem :

Un soir, après la prière de Maariv, le Gaon Rabbi Yekhezkel Landau Zal s’en retournait chez lui. Alors qu’il marchait dans l’une des rues du quartier, il faillit heurter un jeune enfant non-juif. Celui-ci était vêtu de haillons et tenait des paniers vides. En le dévisageant, le Rabbi put voir que ses yeux ruisselaient de larmes.

Rabbi Yekhezkel s’arrêta et se pencha vers l’enfant : « Que fais-tu donc dans le quartier juif et pourquoi pleures-tu ainsi ? » Demanda-t-il d’une voix douce.
L’enfant parut fort ému devant ce juif qui s’intéressait à son triste sort et il ne se fit pas prier pour se confier à lui.
« Je suis orphelin de mère, expliqua-t-il, alors que les larmes inondaient ses joues. Mon père, boulanger de son métier, a pris une seconde épouse, une femme méchante et cruelle. Chaque jour, lorsque mon père a cuit le pain, ma marâtre m’envoie dans les rues de la ville, les bras chargés des miches encore chaudes, afin que je les vende durant toute la journée. Mais parfois, lorsque je n’arrive pas à vendre toute ma marchandise, ma belle-mère s’en prend à moi et me frappe avec violence…

-Et que t’est-il arrivé aujourd’hui?” demanda le Rav à l’enfant.
Celui-ci redoubla de pleurs.
« Aujourd’hui, dit-il, j’ai justement réussi à vendre toutes mes miches de pain mais ce soir, en voulant rentrer chez moi, j’ai porté ma main à la poche et me suis rendu compte que tout mon argent avait disparu. J’avais gagné trente florins et voilà que j’ai tout perdu, ou peut être me les a-t-on volés. Et maintenant, termina-t-il, si je rentre à la maison les mains vides, ma marâtre m’assénera des coups terribles, que je ne pourrai jamais supporter. Et, de plus, je n’ai rien mangé de toute la journée. C’est pour cela que j’erre dans les rues et que je pleure. »

Rabbi Yekhezkel Landau fut pris de pitié et son cœur s’emplit de compassion. Il ramena aussitôt l’enfant chez lui, lui servit à manger et à boire, et lorsque l’enfant fut reposé et réconforté par ce copieux repas, le Rav lui remit exactement la somme qui lui manquait.

Heureux et rasséréné, l’enfant quitta la maison du Rav et se dépêcha de rentrer chez lui.

De nombreuses années s’étaient écoulées depuis que le « Noda Biyehouda » avait accueilli chez lui le jeune enfant. Celui-ci avait grandi, était devenu adulte et le Rav qui était arrivé à un âge avancé avait déjà presque oublié l’incident.

Une nuit de Cheviyi chel Pessah, veille du dernier jour de la fête, le Rav ayant terminé son repas était plongé dans l’étude.

L’heure était déjà tardive et toute la maison dormait. Soudain, le Rav perçut un bruit, un bruit étouffé de pas rapides qui se rapprochaient de la maison. Il en était encore à se demander qui pouvait venir lui rendre visite à pareille heure lorsque l’on frappa légèrement à la porte. Le Rav entrebâilla la porte et eut la surprise de découvrir devant lui un jeune homme non-juif : « Qui êtes-vous et que venez-vous faire ici à cette heure ? demanda Rabbi Yekhezkel Landau très étonné.

– Ne me reconnaissez- vous pas, Rav, chuchota l’inconnu, en guise de réponse? Je suis le jeune garçon que vous aviez recueilli dans la rue des juifs, voilà de nombreuses années. C’est à moi que vous avez jadis donné à manger, à boire et vous m’aviez même offert de l’argent.
– Mais pourquoi venir ici si tard ? demanda à nouveau le Rav.
– J’ai décidé de vous rendre le bien pour le bien que vous-même m’avez jadis prodigué, Rav. C’est pourquoi je suis venu ici en cachette, dans le plus grand secret, afin de vous faire part d’un complot qui se trame contre les juifs de Prague. »

Le Rav restait silencieux, attendant que le jeune homme poursuive.
Baissant la voix, celui-ci expliqua : « Sur les conseils de ma belle-mère, tous les boulangers non- juifs se sont réunis chez nous à la maison. Durant cette réunion, ils se sont mis d’accord pour tuer tous les juifs de Prague en seule fois, et ont même mis au point et arrêté un plan pour réaliser leur projet.

Vous savez, continua l’homme, que chaque année, à la sortie de votre fête de Pessah, les boulangers non-juifs de la ville confectionnent des pains pour vous autres, Juifs. (De façon exceptionnelle, les Rabbanims de la Diaspora permettaient de manger le pain des non- juifs, immédiatement après Pessah). Or hier, durant la réunion, les boulangers ont décidé de mélanger un fort poison à la pâte qu’ils allaient cuire pour vous. Ainsi, demain soir, lorsque tous les juifs mangeront le pain frais, qu’ils achèteront dans les boulangeries, ils mourront tous en une seule nuit.

J’étais à la maison le soir de cette réunion et ai entendu chaque mot, bien que tout se fût déroulé dans le plus grand secret. J’ai décidé de vous dévoiler la chose afin que vous puissiez trouver un moyen de sauver votre communauté. Mais je vous supplie de ne jamais révéler que c’est moi qui vous ai fait part de ce projet, et ainsi trahi le secret des boulangers.

– Sois mille fois remercié pour ton geste !» s’écria le Rav, et il insista pour exprimer sa reconnaissance au jeune homme. Mais celui-ci n’entendit pas ses paroles jusqu’au bout. Déjà il avait disparu, absorbé par les ténèbres, et se dépêchant de quitter le quartier juif de la ville.

Le Rav, lui, s’en retourna lentement vers la table et se rassit. Déjà, il réfléchissait intensément: « Il ne fait aucun doute, pour moi, que ce jeune homme dit vrai. Mais s’il en est ainsi, que dois-je faire ? Comment déjouer ce plan ignoble ? Comment sauver mes coreligionnaires de cette infamie ? »

Rabbi Yekhezkiel resta là, de longues heures, assis à retourner dans son esprit le problème dans tous les sens. Il lui fallait trouver une solution, et vite. Une chose était claire : il fallait que l’affaire soit tenue secrète, que personne n’en ait vent, ni ne se doute de quelque chose, et qu’en aucun cas la Communauté ne soit gagnée par l’affolement ni la panique. Mais, ceci étant, que fallait-il faire ?

Aux premières lueurs de l’aube, une idée germa dans l’esprit du Rav. Tôt le matin, des envoyés furent dépêchés dans toute les Synagogues de Prague, sur ordre de Rabbi Yekhezkiel, pour annoncer que, de façon exceptionnelle, le Rav prononcerait un Dvar Torah à l’issue de la prière de Cha’harit. Tous les juifs de la ville étaient priés d’y assister sans exception. « Il s’agit d’un sujet vital pour l’ensemble du Judaïsme et c’est pourquoi chacun devait se rendre à la Grande Synagogue pour y écouter les paroles du Rav. » expliquèrent les envoyés.

Leur curiosité ayant été éveillée, les Juifs de Prague se hâtèrent vers la Grande Synagogue et attendirent le discours pour y écouter les paroles du Rav.

«Mes frères, déclara le Rav, vous savez que, de par nos fautes, la Torah a tendance à s’oublier un peu plus à chaque génération. Et du fait de l’étroitesse de nos esprits, de nos cœurs qui se durcissent, les Sages et les Maitres de la génération en viennent eux-mêmes à commettre des erreurs. A mon grand regret, je suis dans l’obligation de vous dire que, bien que nous soyons versés dans l’établissement du calendrier juif et de la fixation des fêtes, je me suis rendu compte, en refaisant les calculs, que moi-même et mes collègues nous sommes gravement trompés au point que nous avons presque amené nos frères à manger du Hametz à Pessah. »

La foule stupéfaite resta bouche bée, une erreur de calcul dans le calendrier ? Manger du Hametz à Pessah, toutes ces choses ne paraissaient pas crédibles. Mais déjà le Rav reprenait en expliquant : « Oui ! Nous nous sommes en effet trompés et, cette année, nous avons fixé le début de Pessah un jour trop tôt: de ce fait, aujourd’hui n’est pas le dernier jour de la fête mais l’avant-dernier, et ce n’est que demain soir que Pessah sera terminé. Aussi, jusqu’à demain soir, il est strictement interdit de consommer la moindre miette de Hametz. »

Les paroles, bien que fort étonnantes, du Rav, furent acceptées sans réplique. Certes, parmi l’assistance, certains étaient sûrs de leurs propres calculs, et d’après eux, c’était bien en ce jour que se terminait la fête. Mais si le Rabbi avait affirmé le contraire, il n’était pas question de tergiverser ni de douter de ses paroles. Chacun était donc prêt à obéir sans protester. Et, en effet, cette année-la, les juifs de Prague fêtèrent Pessah pendant neuf jours et non huit !

Le jour suivant, des policiers vinrent inspecter et contrôler les boulangeries de la ville. Ils organisèrent une fouille méthodique et passèrent tout au peigne fin. En vue d’un contrôle plus approfondi, ils emportèrent de nombreuses miches qui furent minutieusement examinées par des responsables du gouvernement qui eurent tôt fait de découvrir que toutes les miches contenaient un poison mortel, qui n’aurait laissé aucune chance de survie à celui qui les aurait mangées.

Une enquête fut ouverte à la suite de ces constatations et l’on ne mit pas longtemps à découvrir que le boulanger et sa femme, dont le fils avait sauvé les juifs de Prague, étaient à l’origine de ces actes infâmes et criminels. Ils furent, ainsi que tous les autres boulangers de la ville, punis de façon extrêmement sévère.

Lorsque les juifs de Prague eurent vent de l’affaire des pains empoisonnés, ils comprirent ce qui avait amené leur Rav vénéré à se « tromper »dans le compte des jours de la fête et à rajouter un neuvième jour de Pessah. Une chose, pourtant, étonnait les juifs de la ville: comment le Rabbi avait-il eu connaissance de ce complot qui s’était tramé contre eux? Certains ne purent résister à la curiosité et allèrent lui poser la question. Mais celui-ci resta d’un silence absolu.

Ce n’est que peu avant sa mort que Rabbi Yekhezkiel rapporta l’incident à son fils, Rabbi Chemouel (auteur du Chivath Tsion), dans tous les détails.

« Et sais- tu, mon fils, demanda alors le Rav, par quel mérite les Juifs de Prague ont été sauvés d’une terrible mort? Ce n’est pas grâce à l’idée que j’ai eue en ce moment critique, mais grâce à ce sentiment de compassion et de pitié que j’ai ressenti à la vue de ce jeune enfant. C’est parce que ce sentiment m’a poussé à l’aider dans sa souffrance que, grâce à D., nous avons été sauvés. »

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