HistoiresItshak Nabet

Des anges sur le chantier

par Itshak Nabet

Nous trouvons dans la paracha Kédochim à deux reprises l’importance du respect du Chabat. Le Ramban zal explique que la Torah répète souvent cette Mitsva qui représente l’essence de notre foi. Ainsi pendant 24 heures, nous arrêtons toute activité, et nous nous plaçons entre les Mains de notre Créateur. En outre, nos sages nous ont déjà averti que celui qui garde la Chabat, mérite une protection particulière par le Chabat Lui-même, comme le prouve cette belle histoire tirée du livre Tu raconteras Ses merveilles tomes 3 de Yair Weinstock.

Yehiel Wachs (nom d’emprunt) est un entrepreneur d’envergure à l’époque où, en Israël, ce métier était rare. En ces années 1920-1930, dans la région de Gouch Dan, au centre du pays, on voit davantage de vergers que d’immeubles. Alors que les vagues d’immigration en provenance d’Europe viennent peupler le pays, le besoin pressant de centaines d’appartements se fait nettement ressentir. Yehiel Wachs a le sens des affaires et sait où investir. La construction est une branche florissante. Il se lance donc dans le bâtiment et construit des dizaines d’immeubles grâce aux efforts de ses ouvriers juifs qu’il emploie. Il fait concurrence à la grande société coopérative Solel Boné qui construit la majeure partie des maisons du Gouch Dan. Dans les environs de Ir Ganim, qu’on appelle aujourd’hui Ramat-Gan, Yehiel est aussi célèbre que Solel Boné.

Un vendredi matin, au début du printemps, Yehiel examine les dix immeubles de trois étages qu’il est en train d’ériger. La construction bat son plein : on coule les poutres de béton dans certains immeubles et on monte déjà le deuxième étage dans d’autres. Les travaux demandent une quantité très importante de ciment, « ciment » était le mot-clé de l’époque. Sans ce matériau, on me peut même pas construire la moitie d’une pièce. En Israël, il n’existe pas encore d’usines de ciment. Ce matériau précieux est importé d’Angleterre. Le ciment coute très cher car sa production passe par un processus compliqué et douteux. On l’envoie en Israël par bateaux dans des barils spéciaux ce qui augmente son prix de revient.

La veille, les dockers du port de Yafo ont déchargé un bateau de marchandise en provenance d’Angleterre et ont déposé sur le quai plus de cent cinquante barils de ciment. Tous ne sont pas au promoteur Yehiel Wachs : plus de la moitie a été commandée par la société Solel Boné.

Apres un long processus et divers autorisations douanières, les ouvriers de Yehiel chargent les barils de ciment sur des charrettes conduites par des chevaux et se dirige vers le chantier. Au même moment, les ouvriers de Solel Boné chargent eux aussi leurs barils et les conduisent sur le chantier situé a l’autre bout de la même rue. Au port, Yehiel surveille lui-même le déchargement et le chargement des barils, palpe le matériau grisâtre, le sent et s’assure de la qualité. Ce ciment est excellent et a couté une fortune a Yehiel. Il a dû hypothéquer tous ses biens pour l’acheter mais il s’agit, d’un investissement rentable. S’il arrivait quelque chose a ce ciment, Yehiel perdrait toute sa fortune. Mais pourquoi de telles pensées lui viennent-elles à l’esprit ? Tout s’est toujours bien passé; pourquoi arriverait-il quelque chose?

Ce Vendredi là ; longtemps avant chabbat, Yehiel abandonne les immeubles en construction mais ne quitte pas les lieux avant de s’être assuré que tous ses ouvriers sont partis. Yehiel est un Juif religieux, il observe scrupuleusement le chabbat. Sur son chantier, le travail cesse le vendredi à midi et aucun ouvrier n’est autorisé à revenir avant dimanche matin. Yehiel monte sur sa charrette et traverse lentement les rues de Tel-Aviv et arrive à Yafo où il habite. Son regard capte un gros nuage gris à l’horizon mais il n’y prend pas garde. L’hiver est passé, Pessah aussi. Il ne pleuvra certainement pas en cette saison.

Dans l’après-midi, Yehiel met une casserole de soupe à chauffer sur le réchaud en l’honneur de chabbat quand il entend plusieurs personnes parler à haute voix dans la rue. Quelques instants plus tard, des coups ébranlent sa porte. Yehiel ouvre et voit ses ouvriers entrés précipitamment chez lui.

« Yehiel, il faut faire quelque chose ! s’écrient-ils.

-Que se passe-t-il ?

Les ouvriers montrent du doigt le ciel obscur.

-Regarde Yehiel, il va pleuvoir ! La pluie va abimer tout le ciment ! »

Les barils étant livres sans couvercle, le ciment est expose aux intempéries. Le ciment est destiné à être mélangé au gravier et au sable et à être versé dans les fondations puis il durcira et deviendra du béton. Tant que le ciment n’est pas prêt à l’emploi, l’eau est son plus grand ennemi.

« Nous devons tout de suite aller sur le chantier, prendre des planches et couvrir tous les barils. » s’exclament les ouvriers, « Yehiel, s’il pleut, tous le chargement du ciment s’abîmera et tout ton argent sera perdu ! »

Yehiel regarde sa montre ; il ne reste que trois heures avant chabbat. Il faudra faire beaucoup de choses dans ces trois heures. Aller à Ramat-Gan en charrette, couvrir les barils pour les sauver de la pluie puis revenir a Yafo avant chabbat.

– Est-ce que vous aurez le temps de tout faire en trois heures ?demande-t-il aux ouvriers.

Les ouvriers ne lui cachent pas la vérité : il est certain que le voyage entraînera la profanation du chabbat mais, de toute façon, ils n’observent pas le chabbat, eux. Yehiel reste ferme

– Pas question ! Je ne vous laisserai pas aller sur le chantier ! Je ne vendrai pas le chabbat pour tout l’or du monde !

– Qu’est ce qui te prend, Yehiel ? Tu es prêt à perdre tout ton argent pour respecter le chabbat ? Qui t’a dit d’y aller toi-même ? C’est nous qui irons a Ir Ganim et feront le nécessaire. Quant à toi, reste chez toi et profite du chabbat.

– En aucun cas ! Je ne veux que personne transgresse le chabbat à cause de moi. Celui qui ose aller à Ir-Ganim sera renvoyé!

– Mais tout le ciment sera gâché ! Cela représente une fortune ! Tu risque de faire faillite !

– Je suis prêt à perdre tout mon argent pour ne pas transgresser le chabbat. »

Les ouvriers, impressionnés par la fermeté de Yehiel, décident de retourner chez eux. Ils respectent les valeurs sacrées de leur employeur. Après leur départ, le vent se met à souffler très fort. Yehiel ne prête pas garde au brusque changement de temps et ne pense plus aux barils du chantier. La Reine du chabbat arrive et la pluie n’est pas encore tombée. Au moment où Yehiel prend en main le verre de Kiddouch et commence à se balancer avec ferveur, un éclair illumine le ciel. Une tempête balaie les rues qui se vident en un instant de tous leurs passants.

Yehiel se domine et ne laisse aucune réflexion destructrice pénétrer son esprit. « Le chabbat, il faut considérer tous son travail comme terminé. » Cette nuit la, une pluie diluvienne s’abat sur la région. Chez Yehiel, il fait bon et chaud. La forte lumière qui éclaire la maison ne provient ni des éclairs ni de la lampe suspendue au plafond. Le visage de Yehiel rayonne de l’éclat que le chabbat projette sur ceux qui résistent a l’épreuve et observent le jour saint sans compromis. Assis à la table du chabbat, il chante tranquillement les chants avec ses enfants, parle de Torah. Il se lève a l’aube, récite a voix basse le livre entier des Psaumes, comme il le fait depuis des années, puis se rend a la synagogue. Sur le chemin, il remarque que la pluie a lavé toute la ville a grande eau mais cela ne le dérange pas le moins du monde. La prière et le repas se déroulent avec un plaisir spirituel comme il n’en a pas connu depuis de longues années. A l’issue du chabbat, Yehiel récite la Havdala avec ferveur. A peine Yehiel a-t-il posé le verre de vin sur la table que la tristesse et le découragement l’envahissent. Il part détacher son cheval, l’attelle a la charrette et prend la direction du chantier.

Le terrain est plongé dans les ténèbres. Yehiel a pris avec lui une lanterne qu’il allume. Il s’approche du chantier, le cœur battant. Un cri s’échappe de sa bouche, tous ses barils sont couverts de planches, plaques de tôle et de pierres !

« Est-ce que je rêve ? Est-ce une illusion ? »

Il s’approche des barils et, les mains tremblantes, il soulève les planches de bois car il ressent le besoin de palper le miracle de ses propres mains. Pas de doute, c’est bien du ciment ! Ivre de joie il rentre chez lui, le cœur débordant de reconnaissance envers D. Une idée fantaisiste envahit son cœur. Il est persuadé que les anges qui l’ont accompagne la nuit du chabbat se sont envolés vers le quartier de Ir-Ganim pour couvrir les barils. Tout ceci afin que ses biens ne soient pas détruits à cause du chabbat…

Le lendemain, il se rend vers ses immeubles en construction. De loin, il entend les cris d’Avraham Hajazi, le contremaitre de l’entreprise Solel Boné qui travaille tout prés de son chantier.

« Imbéciles, Anes bâtés ! Je vous ai envoyés couvrir les barils de ciment. Comment se fait-il qu’ils soient tous restés ouvert ? Tout le ciment est fichu ! Il n’y a plus de travail pour vous ici !

– Mais nous sommes venus et nous avons tout couvert, se défendent les ouvriers.

-Menteurs !

Yehiel s’approche du chef du chantier rouge de colère.

-Pourquoi te mets-tu en colère, Avraham ?

– Laisse-moi tranquille ! Ne viens pas me verser du sel sur mes blessures ! Le soir du chabbat, j’ai envoyé vingt de mes ouvriers couvrir les barils de ciment. Je ne sais pas ce qu’ils ont fait. Ils affirment qu’ils les ont bien couverts mais regarde ! Tous les barils sont ouverts, le ciment est dur comme de la pierre ! Je vais tous les renvoyer, tous !

– Tes ouvriers ne mentent pas, ils ont bien couvert les barils, lui confirme Yehiel en montrant du doigt les barils couvert au bout de la rue.

Tu vois, ils ont effectivement couvert des barils mais ce ne sont pas les tiens… Dans l’obscurité, ils se sont trompés parce que, d’en Haut, on leur a donné l’ordre de couvrir les miens ! »

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