Histoires

Derrière le périscope

Comme nous l’avons développé dans le Dvar Torah, Les clefs de la joie, nous avons deux façons de voir et d’analyser notre vie: soit en se focalisant sur les manques dont nous souffrons, comme le firent nos ancêtres au début de l’histoire de Pourim, soit, à l’image des bné Israel à la fin de la Mégila, en nous réjouissant de tout ce que nous possédons. Plus que cela, c’est parfois des situations les plus sombres que jaillit la lumière, comme l’illustre cette histoire tirée du livre : Le Maguid de Jerusalem.

Le jeune Moché Rabi faisait partie des heureux élus. Quand le monstre nazi commença à pointer sa tête hideuse en Allemagne en 1939, un bienfaiteur anglais ( Rabi Moché Schneider) proposa d’assurer la fuite du jeune homme. Celui-ci, âgé alors de seize ans, devait partir avec un convoi d’enfants, de Francfort à Londres, dans l’espoir de fuir les souffrances du nazisme. Mais peu de temps après son arrivée en Angleterre, Moché apprit qu’il allait être transféré dans un camp de réfugiés. Scotland Yard, soupçonnant des espions allemands de s’infiltrer en Angleterre avec les réfugiés juifs, ne voulait plus prendre aucun risque.

Dès leur arrivée, tous les étrangers étaient classés en trois catégories. Les suspects qui avaient des liens avec les forces armées allemandes, comme les marins ou les soldats, étaient emprisonnés. Les Allemands qui avaient un autre métier étaient assignés à résidence, et les enfants, qui avaient le droit de vivre avec les familles qui acceptaient de les héberger. Mais après la grande victoire des Allemands en 1940 à Dunkerque, tous ceux qui avaient la nationalité allemande, juifs ou non, furent internés dans les camps établis à Liverpool.

Les conditions de vie dans ces camps de détention étaient terribles. L’espace et la nourriture faisaient gravement défaut. Les internés se plaignaient amèrement, et les autorités britanniques offrirent à tous ceux qui le désiraient la possibilité d’être déportés au Canada. De nombreux Juifs, y compris Moché, décidèrent alors de quitter les camps anglais en se disant que les choses pourraient difficilement être pires. Ce en quoi ils se trompaient.

 Les Juifs allemands furent emmenés sur une île où ils embarquèrent à bord du Dunera, à destination du Canada. Mais on les avait trompés. Après quelques jours en mer, la plupart des passagers comprirent que le Dunera se dirigeait vers le sud. A force de questions et de recherches, ils apprirent qu’ils étaient en route pour l’Australie !

Tout au long du voyage, les Juifs subirent d’incessantes humiliations. On leur interdit catégoriquement de se rendre sur le pont supérieur pour respirer un peu d’air frais. On les parqua derrière des barbelés pour les contraindre à rester aux niveaux inférieurs du paquebot. Les marins et les membres de l’équipage leur confisquèrent leurs effets personnels sous prétexte qu’ils seraient plus à l’abri aux mains des autorités.

Les voyageurs étaient démoralisés, en proie à un vif sentiment de solitude et d’angoisse concernant leur avenir. Ils n’avaient quasiment plus rien. Ils s’étaient enfuis de chez eux, et voilà qu’on les déportait maintenant de leur pays adoptif. Les passagers savaient tous que les eaux de l’océan Pacifique grouillaient de navires de guerre allemands. Ils étaient complètement désemparés.

Les membres de l’équipage anglais se tenaient régulièrement au courant des avancées de l’armée allemande par leurs postes de radio. L’horizon était sombre, l’ennemi remportait victoire sur victoire.  Un soir, le Dunera échappa de justesse à une catastrophe lorsque un énorme vague détourna le navire de la trajectoire d’une torpille.

Les marins anglais étaient furieux et humiliés d’avoir encouru ce danger. Sous le feu de la colère, ils se vengèrent sur les ressortissants allemands qui se trouvaient à bord. Avec une cruauté délibérée, ils rassemblèrent les derniers biens des passagers et les jetèrent par-dessus bord, dans les eaux houleuses du Pacifique. Les derniers liens qui unissaient ces derniers à leur passé, les lettres, les souvenirs de famille…tout ce qui les rattachait à leur vie antérieure était maintenant perdu à jamais.

Les ténèbres de la nuit reflétaient leurs cris de désespoir. Rongés par la douleur, ils regardaient leurs maigres effets stagner à la surface des flots. Finalement, le Dunera et ses passagers arrivèrent à Sydney. Le Dunera reprit bientôt la mer en direction de l’Angleterre. Quelques jours plus tard, il fut torpillé par les sous-marins allemands et explosa.

Il y a quelques années, un film qui racontait les mésaventures de Dunera sortit en Angleterre et en Australie. Il était très critique à l’égard des membres de l’équipage britannique en dénonçant leur attitude cruelle et insensible envers leurs passagers. La Marine britannique s’insurgea contre l’image négative que ce film donnait de ses soldats. Le Parlement de Londres ouvrit une enquête pour savoir si les marins avaient réellement eu un comportement si inhumain en ce temps-là.

De nombreux documents sur cette affaire furent révélés et l’on retrouva le journal de bord du commandant allemand qui avait torpillé le Dunera. Il contenait des révélations incroyables. En fait, le commandant avait pratiquement traqué le Dunera jusqu’en Australie. Il avait lancé une torpille contre l’énorme navire et avait eu la surprise de constater que le projectile avait été dévié. Il s’apprêtait à donner à son équipage l’ordre de faire feu sur le navire quand, soudain, les marins qui tenaient le périscope remarquèrent des valises flottant à la surface. Ils envoyèrent des plongeurs les récupérer dans l’espoir de récolter quelques informations sur l’ennemi.

Une fois à bord, ils les examinèrent avec attention. Parmi le butin se trouvaient des lettres rédigées en allemand courant, des livres allemands… Ils comprirent qu’il y avait des Allemands à bord du bateau. Le capitaine, voulant épargner la vie de ses compatriotes, annula l’ordre de tirer. Il ordonna par radio à tous les navires allemands de la région d’éviter ce bateau, et le suivit jusqu’à Sydney.

Quand le bateau accosta et que les passagers débarquèrent, le commandant fut certain qu’il n’y avait plus d’Allemands à bord. La conscience désormais tranquille, il attaqua le Dunera et le coula.

Ainsi, ce que Moché Rabi et ses accompagnons avaient ressenti comme la dernière cruauté était en réalité un acte de Présence Divine qui épargna leur vie. Ce qui devait les couper à tout jamais de leur passé leur servit de pont vers l’avenir.

Moché Rabi et de nombreux membres de sa famille vivent toujours en Australie et sont des membres actifs de la communauté juive de Melbourne.

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