HistoiresItshak Nabet

Un instant de colère

par Itshak Nabet

Comme nous l’avons expliqué dans le Dvar Torah, le vêtement du Cohen Gadol servait à expier les fautes du peuple. Ainsi « le Meïle », une longue tunique turquoise qu’il portait, devait pardonner les mauvaises paroles. La Torah, à travers la forme et les couleurs de ce tissu, nous appelle à surveiller nos bouches. Ce membre si important pour le service Divin est l’acteur des plus grandes choses comme l’étude de la Torah et la prière. Mais il peut également être l’auteur des pires comme la médisance, le mensonge et la malédiction qui sont des sources de destruction comme l’illustre cette histoire tirée du livre des Récits et des Hommes (volume 3) de Haïm Walder:

Je suis une jeune fille de vingt ans, en pleine période de chidoukhim. Ce jour-là, j’ai eu envie d’aller prier au kotel. Après avoir vidé mon cœur devant les vieilles pierres, je suis revenue vers la station de bus. Enormément de monde attendait. Un autobus est arrivé et s’est rempli, puis un second et un troisième. J’ai attendu patiemment, sans pousser mais en m’efforçant de conserver ma place dans la queue.

Un quatrième bus est arrivé. L’autobus était plein mais les gens continuaient à monter.  » Me laissera-t-il monter?  » me suis-je demandé. Juste au moment où je m’apprêtais enfin à grimper sur le marchepied, une jeune fille est arrivée et s’est faufilée devant moi.
– Pardon! Lui ai-je dit. D’autres personnes attendent ici depuis un moment.
– Moi aussi, j’attends depuis une demi-heure, m’a-t-elle répondu.
– C’est curieux, je ne vous ai pas vue…

Sans prendre la peine de répondre, elle s’est agrippée à la rampe. Malgré ma forte envie de la pousser, ma colère n’a pas réussi à me faire perdre mes bonnes manières. J’ai essayé de garder ma place et de monter, mais la jeune fille a réussi à me devancer. A ce moment, le conducteur a prévenu qu’il refermait la portière.  » Attendez, quelqu’un est en train de monter! » lui a-t-elle demandé. Avec un haussement d’épaules, il a continué à fermer et j’ai reculé. La foudroyant d’un regard furibond, j’ai grommelé quelques mots que je n’aurais pas dû prononcer. Mais la colère m’a fait perdre l’esprit et, entre les dents, j’ai laissé échapper:  » Puisses-tu ne jamais arriver… »

Trop énervée pour attendre le bus suivant, je suis montée dans un taxi collectif qui passait par là. Nous avons suivi le chemin habituel et, alors que nous étions près du Novotel, nous avons entendu l’explosion. Cela semblait tout près de nous.
 » C’est un attentat « , a déclaré le chauffeur.
En une demi-minute, les ambulances sont arrivées. Toute la circulation s’est arrêtée et le chauffeur nous a dit de descendre. Tremblant de tous nos membres, nous avons couru vers le carrefour où s’était produit l’attentat. De l’endroit où je me trouvais, j’apercevais distinctement l’autobus. C’était celui que j’aurais dû prendre.

Avec effroi, j’ai réalisé que j’avais échappé de justesse à une mort affreuse.
Puis une autre pensée m’est venue: cette jeune fille, que lui était-il arrivé? Au milieu des cris et de l’effroyable vacarme, je l’imaginais gisant à terre à quelques mètres de là…

Soudain les terribles paroles que je lui avais lancées me sont revenues à l’esprit. En état de choc, je suis rentrée chez moi, hébétée. Mes parents étaient malades d’inquiétude. Ils m’ont étreinte et embrassée comme si je revenais d’un autre monde.

L’oreille collée à la radio, j’ai ensuite écoué les nouvelles en me rongeant les ongles. Mon imagination ne cessait de me montrer cette fameuse fille. Mon attitude cynique et la malédiction que je lui avais proférée me hantaient: c’est moi qui portais la responsabilité de tout ce qui était arrivé. L’individu profère de nombreuses paroles sans songer à ce qui se produira ensuite. Parfois, ses paroles prennent un sens très lourd.

J’ai gardé pour moi toutes ces pensées. Il ne fallait pas que quelqu’un puisse un jour m’accuser. Le sommeil me fuyait. Le regard qu’elle m’avait lancé pour s’excuser me poursuivait. Je la voyais me regardant du haut des cieux me dire:  » C’est ta faute! » Qui eût cru que quelques mots prononcés dans un instant de rage m’obséderaient à tel point?

Sept jours ont passé. Le mardi, une semaine après l’attentat, j’ai décidé de retourner au kotel afin de demander pardon à cette inconnue. Debout devant le Mur, j’ai pleuré comme jamais auparavant. J’ai imploré la jeune fille et le Tout Puissant de me pardonner car tout était peut-être à cause de moi.

Après cela, très lentement, je suis retournée vers la station de bus. En silence, j’ai pris ma place dans la queue. En aucun cas, m’étais-je promis, je ne me disputerais. Tout en me dirigeant vers l’autobus, j’ai jeté un regard en arrière et, soudain, je l’ai aperçue.

Légèrement en retrait de la station, elle priait avec ferveur.
Abandonnant ma place, je me suis précipitée vers elle.
– Vous souvenez-vous de moi? Lui ai-je demandé. Elle m’a lancé un regard abasourdi.
– Vous? Je n’arrive pas à le croire, vous êtes vivante!
– C’est vous qui me posez cette question? C’est moi qui vous la pose…
– Je craignais qu’il ne vous soit arrivé quelque chose… Toute la semaine j’ai vécu dans l’inquiétude.
– Mais pourquoi redoutiez-vous qu’il me soit arrivé quelque chose? C’est le bus dans lequel vous êtes montée qui a explosé.

Elle a froncé les sourcils.  » Une minute! C’est l’autobus dans lequel je suis montée qui a été victime de l’attentat? … Incroyable. Quelques minutes après le départ, je me suis souvenue que j’avais oublié mon sefer Téhilim au Kotel. Je suis descendue à la station suivante et suis revenue sur mes pas. C’est plus tard, sur le chemin du retour, que j’ai appris l’explosion. J’ai tout de suite pensé à vous. J’ai supposé que vous étiez montée dans le bus suivant et que celui-là avait explosé.
Depuis une semaine, je n’arrive ni à dormir ni à manger. »

– Grâce à votre livre de Téhilim, vous avez donc été sauvée et vous ne le saviez pas…
D’un seul coup, mes paroles ont pénétré dans son esprit.  » Je n’arrive pas à le croire, j’ai vraiment été sauvée. C’est incroyable! » durant deux heures, nous avons discuté. Finalement, nous avons décidé de publier ce récit qui contient un message très important:

 » Nous menons notre vie sans réaliser que toute parole peut avoir une signification lourde de sens. Cette jeune fille m’a sauvé la vie. Car, contrairement à elle, je n’avais rien oublié au Kotel. Elle avait regretté son étourderie sans penser un instant que cet oubli, en réalité, lui avait préservé l’existence. Ce qu’il faut savoir, c’est l’importance de la parole. Une alliance est conclue avec les lèvres, disent nos sages. Combien de mauvais décrets proférons-nous sans nous arrêter à ce qu’ils sous-entendent et sans penser à ce qui arriverait si ces souhaits se réalisaient? »

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