Dans la paracha Béalotékha, la Torah nous enseigne la Mitsva de Pessakh Chéni. Tout celui qui n’avait pas pu apporter son sacrifice à cause d’un cas de force majeure, avait une seconde chance, un mois plus tard le 14 Iiar. En outre, nous voyons que cette Mitsva n’avait pas été initialement enseigner par Moché rabénou. Ce n’est qu’après la demande de quelques juifs qu’ Hachem donna cette nouvelle Mitsva. Nous voyons que lorsqu’on veut, Hachem ouvre toutes les portes, comme l’illustre cette histoire :
Un jour que Rabbi ‘Haim de Sanz traversait un petit village, il s’arrêta soudain. » Je sens une odeur de Gan Eden dans ces parages…déclara-t-il à son compagnon. Là, dans cette maison ! »
Ils frappèrent à la porte et apprirent que c’était la demeure de Rabbi Pessah, le trésorier de la petite communauté. Celui-ci, très ému par la visite d’une personnalité aussi importante, fit entrer le Rav.
« Il se dégage d’ici un parfum, qui n’a rien de terrestre, lui expliqua Rabbi ‘Haim. C’est là, ajouta-t-il en tendant le doigt vers une armoire, dans le coin de la pièce. Puis-je ouvrir ?
– Je vous en prie, Rabbi ! » Répondit le gabbaï, perplexe.
Rabbi ‘Haim ouvrit l’armoire et commence à la vider de son contenu. Un instant plus tard, il en retira une longue défroque (vieux vêtement) noir et son visage s’illumina.
« Voilà! S’exclama-t-il, radieux, en agitant la soutane. Ne sentez-vous pas cette odeur de Gan Eden ? Racontez-moi, je vous en prie, l’histoire de ce vêtement ! Il faut que je sache ! »
Le gabbaï se sentit rougir. Cette vieille histoire qu’il croyait oubliée… Il se sentait très gêné : Rabbi ‘Haim n’allait-il pas lui reprocher d’avoir conservé la soutane ? Cependant, tout embarrassé qu’il fut, il ne pouvait refuser au Rabbi le récit demandé…
Rabbi Pessah était gabbaï de la petite ville, et il faisait régulièrement sa tournée afin de faire face aux nombreux besoins de la communauté.
« Un jour que je revenais d’une collecte de ce genre, raconta-t-il, je vis quelqu’un qui m’attendait :
« Rabbi Pessah, m’appela-t-il dès qu’il me vit. Il faut que vous m’aidiez ! J’ai d’urgence besoin d’une grosse somme d’argent pour me tirer d’affaire !
– Que n’êtes-vous venu un peu plus tôt ! Soupirai-je. Je viens de finir ma tournée et tout l’argent a déjà été distribué. Je suis vraiment désolé…
-Je vous en supplie, Rabbi Pessah. C’est très important, je vous assure…
-Où pourrais-je encore trouver de l’argent ? J’ai visité la plupart des membres de la communauté, et je n’ai pas d’autres adresses…
Mon visiteur éclata en sanglots. Qu’allait-il devenir ? Il avait compté sur mon aide…Je fus pris de pitié. Comment aurais-je pu refuser de venir au secours d’un de mes frères dans le besoin ? Je décidai de faire une seconde tournée ; avec l’aide de D., je ramasserais bien quelque chose…
Ce ne fut pas facile. » Tu sors d’ici ! Me reprochait-on. Nous t’avons à peine remis notre contribution que déjà tu es de nouveau là! »
Je réussis néanmoins à convaincre la plupart des gens qu’il s’agissait d’une urgence et récoltai une petite somme qui suffirait à tirer provisoirement mon visiteur d’embarras…
Dix minutes ne s’étaient pas écoulées qu’on frappa de nouveau à ma porte. De nouveau, c’était un juif dans le besoin. Un cas urgent, désespéré…
J’ai avec lui la même discussion. J’essaie de le convaincre que je ne peux vraiment rien faire. Je ne peux pas aller trois fois de suite frapper aux mêmes portes. Mais mon visiteur ne veut- et ne peut pas comprendre… Il a besoin d’argent ! Si je ne luis viens pas en aide ce soir, il est perdu… Je dois faire quelque chose !
Inutile de vous dire que j’étais déchiré…Mais ma pitié finit par l’emporter. Les juifs ne sont-ils pas miséricordieux, fils de miséricordieux ? Tant pis pour les vexations que j’allais devoir supporter : j’espérais ne pas revenir les mains vides…
Ma troisième tournée ne fut, comme vous pouvez l’imaginer, ni facile, ni agréable. Il fallut quémander, plaider, supplier…Mais, après de longs et laborieux efforts, je finis par amasser, sou après sou, une toute petite somme pour aider momentanément mon ami.
Il me remercia avec effusion et à peine fut-il parti que je me laissai tomber dans un fauteuil, épuisé.
Mais mon repos fut de courte durée. On frappait à la porte…
Un malheureux se tenait là, se tordant les mains. Trois roubles ! Il lui fallait d’urgence trois roubles ! Son propriétaire, un non-juif, menaçait de l’expulser sur le champ s’il ne lui remettait pas la somme exigée, cette nuit même ! Sa femme venait d’accoucher ; inutile de dire qu’il était impossible de songer à la transporter. Un de ses enfants était gravement malade, et le peu d’argent qu’il possédait avait servi à acheter les remèdes indispensables. Le propriétaire se montrait insensible à tous ces arguments : il avait déjà commandé un charretier pour vider la masure au cas où la dette ne serait pas payée d’ici minuit!
Mon cœur saignait pour cet homme. Mais que pouvais-je faire ? Je savais qu’il était parfaitement inutile, cette fois-ci, d’aller trouver encore une fois mes coreligionnaires. Il fallait pourtant trouver quelque chose pour ce malheureux !
C’est à ce moment qu’une idée assez saugrenue me traversa l’esprit. Non loin de chez moi se trouvait une taverne. De nombreux villageois passaient leurs soirées à boire et à plaisanter… Voir parmi ces vauriens des jeunes juifs gaspiller leur temps et leur argent me faisait bouillir.
« Pourquoi ne consacreraient-ils pas une fois un peu d’argent à faire du bien et secourir un juif dans l’embarras ? » me dis-je à ce moment.
Je décidai aussitôt de passer à l’action. J’irais à la taverne et leur dirais, pour une fois, ce que je pensais de leur conduite… Et je les supplierais de venir en aide à mon visiteur en détresse. Après tout, je n’avais rien à perdre…
Des cris d’ivrognes saluèrent mon apparition. J’étais déjà entré dans la taverne lors de mes deux premières tournées. Mais je m’étais contenté de demander au propriétaire sa contribution. Cette fois-ci, c’est à un groupe de buveurs que je m’approchais:
« Messieurs, j’ai besoin de votre aide… »
Un concert de rires, de sifflements m’interrompt:
_ Vous voulez encore de l’argent?…Venez donc plutôt vous asseoir et boire un peu avec nous! Vous le méritez bien… »
Je me sentais pâlir et rougir tout à tour… Puis on me donna une grande tape dans le dos. C’était le fils de l’un des hommes les plus riches de la communauté. Un jeune homme qui ne pensait qu’à s’amuser.
» Reb Pessah! S’exclama-t-il. Tu veux de l’argent? Faisons donc un marché: je suis prêt à te donner trois roubles. Mais à une condition. J’ai dans mon débarras un haillon de prêtre. Si tu acceptes de la porter et de te promener ainsi en notre compagnie à travers la ville, l’argent est à toi! »
Un formidable éclat de rire accueillit la proposition.
La réaction première de Reb Pessah fut de se dégager et de prendre ses jambes à son cou. Il ne pouvait s’imaginer traverser la ville avec une bande d’ivrognes, en portant un habit de prêtre. Mais d’un autre côté, où trouvais trois roubles? Avait-il le droit de refuser cette aubaine?
» D’accord », répondit simplement le gabbaï en baissant les yeux.
Notre compère s’empressa de courir chez lui et de venir avec la soutane. L’assistance éclata de joie en voyant le trésorier déguisé de la sorte. Puis suivi de toute la compagnie, il parcouru les rues de la ville. Les jeunes gens, ravis, tambourinaient sur tout ce qui leur tombait sous la main. Aux fenêtres, les visages étonnés regardaient avec effroi le spectacle. Qu’était-il arrivé au gabbaï? Avait-il bu?
Le défilé achevé, le jeune homme remit fidèlement au gabbaï les trois roubles promis.
Reb Pessah, épuisé physiquement et moralement, n’avait qu’une hâte: rentrer chez lui et oublier toute cette scène.
» Ce vêtement m’a permis de secourir un de mes frères, conclut le gabbaï. Voilà pourquoi j’ai décidé de le garder. »
« Vous avez bien fait! S’exclama Rabi Haïm miSanz. Conservez précieusement ce vêtement. Et dites à vos enfants de vous vêtir de cette soutane, après cent vingt ans. Ce linceul vous protégera. »
Le gabbaï écouta le rav, et fut enterré ainsi.
Des années plus tard, le gouvernement polonais décida de construire une nouvelle route. Celle-ci traversait le cimetière juif, et il fallut exhumer une partie des ossements pour les inhumer ailleurs. Quelle ne fut pas la surprise de la Hévra Kadicha de constater que l’une des dépouilles était vêtue d’un haillon de prêtre. Plus surprenant encore était le fait que cette dépouille était presqu’intacte.
La décomposition ne l’avait pas touchée, à l’exception d’une partie de la jambe, là où la soutane déchirée n’avait pas réussi à le couvrir parfaitement.